Judith Larnaud-Joly
Judith Larnaud-Joly est formée à l’art dramatique, à l’interprétation, au chant et à l’acrobatie au théâtre-école du Passage de Niels Arestrup, après avoir fait ses classes au Conservatoire de Montpellier en danse classique et en théâtre. Elle participe aux sessions professionnelles et aux stages d’Alexandre del Perrugia, Niels Arestrup ou Pascal Elso. Elle assiste ensuite Dominique Bagouet, Jérome Savary, Joseph Nadj ou Antonio Diaz Florian, a plusieurs expériences en tant que comédienne puis se dirige naturellement vers la dramaturgie et la mise en scène.
Elle crée la troupe LE groupe EL en 1997, et adapte et met en scène « Isla Negra » d’après Antonio Skarmeta, « Autour de la prodigieuse » d’après Llorca, « La mère des tortues » d’après Borges ou encore « Presque Marie » sur des textes de (et sur) Marie Curie.
La troupe, francophone et hispanophone se produit en Argentine, Uruguay et au Chili, ainsi qu’à Paris et Avignon.
Judith est docteur ès-lettres (Sémiologie du Texte et de l’Image) depuis 2004. Après avoir suivi des études de Littérature, une hypokhâgne- khâgne au lycée Henri 4, elle enseigne l’art dramatique à l’Université Paris-7 depuis 2001, au département de Lettres et Arts, mais également en Mastère de Journalisme Scientifique et à l’Université Ouverte. Elle partage son expérience de mise en scène autour de sujets de sciences lors de rencontres et colloques (Besançon, Vienne, Strasbourg…) depuis 2000, écrit et publie des articles à ce sujet, avec Andrée Bergeron ou Baudouin Jurdant. Elle mène des formations à l’expression orale et à la mise en espace pour des médiateurs scientifiques à la Cité des Sciences ou au Palais de la découverte, où elle travaille également régulièrement sur l’animation des expositions.
Après dix années de présentations publiques des Controverses Scientifiques Théâtralisées, validation de l’Unité d’Enseignement « Controverses » des étudiants de Mastère Bio-géo-media (anciennement DESS de Communication et Information Scientifiques Techniques et Médicales), elle réalise, avec l’équipe des techniciens du Studio (Paris-7 Denis-Diderot), un film de « l’historique » de cet exercice. Chaque scène, ou presque, jouée devant un public, ayant été filmée, cela équivaut à choisir les meilleurs moments d’environ 30 courtes pièces de théâtre, et d’en mettre en avant les spécificités et qualités. Le montage est intitulé : « Controverses à la scène : 10 ans déjà ». DVD disponible sur demande à la compagnie.
Judith a été médiatrice des ateliers d’écriture de la Bibliothèque Nationale de France entre 2001 et 2005, et directrice de la programmation du Festival du Mot (président Alain Rey) de 2005 à 2007.
Elle a co-écrit et mis en scène « Jusqu’ici tout va bien », pièce sur le DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE jouée dans trois théâtres parisiens en décembre 2008 et produit pas Art’aire Studio.
Elle coordonne en 2008 et 2009 un projet d’Urbanisme Poétique, et crée une antenne de la compagnie dans le département de l’Hérault : LE GROUPE EL SUR, dont la première réalisation sera une présentation de travaux scientifiques et théâtraux, expérimentaux et imaginaires, autour de Marie Curie, à l’école Marie Curie de Montpellier.
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Depuis quand fais-tu de la mise en scène ?
On peut remonter à mes 8 ans quand je menais ma troupe de frères et cousins pour une reprise endiablée de « La Salsa du démon » devant un public familial en vacances d’été au Mont Aigoual ? Ou lors de mes années de danse classique au Conservatoire, quand je contestais le professeur autoritaire, qui, à l’aide de sa baguette, refaisait l’ordre que j’avais défait en proposant d’autres figures pour le spectacle de fin d’année ? Ou quand je construisais les décors en papier crépon au CM1 pour la fête occitane ?
Plus sérieusement, dès que j’ai abordé le théâtre, c’est ce regard que j’ai eu. Alors que dans les écoles, c’est « faire acteur » qu’on apprend… J’ai commencé aussi l’apprentissage d’actrice, j’ai fait le Conservatoire, puis l’Ecole du Passage de Niels Arestrup qui reste une référence de qualité et d’exigence, pour moi et pour bien d’autres. C’était une école de Pratique, on mettait très vite la main à la pâte et même si nous n’avions pas plus de 20 ans, c’était une discipline de fer. Comme je travaillais à côté, pour financer tout ça, et que je suivais aussi des études universitaires, j’avais le recul nécessaire pour ne pas croire à ces faux rêves de succès de jeune comédienne qui traînaient dans l’air. Et surtout, les apprentis-comédiens que je côtoyais avaient plutôt une pratique du théâtre de rue et du cirque, ce qui porte à la modestie, vu le danger, et aussi la mise à l’épreuve face au public. Après avoir terminé la formation à l’Ecole du Passage, j’ai rejoint une troupe chilienne, el Teatro del Silencio, je suis partie avec eux au Chili. Et quand je suis rentrée en France, baignée des idéaux de société sud-américains et de la poésie de Neruda, j’ai monté mon premier spectacle : « Isla Negra ».
Pour cela il fallait une structure-cadre, donc j’ai fondé une compagnie. Des gens dont j’aimais le travail m’ont accompagnée. Et les autres expériences ont suivi…
Je pourrais dire que plus que cette décision-là, qui est pourtant à l’initiative du parcours de plus de dix ans d’une troupe, LE GROUPE EL, je peux « dater » ma naissance de metteur en scène à une expérience que j’ai eue un peu avant, quand j’étais surveillante (pionne) au lycée Rabelais, porte de Clignancourt. Les lycéens, surtout les lycéennes, sachant que j’étais aussi étudiante en Littérature à l’Université, venaient me voir régulièrement pour des coups de mains sur des devoirs de français. Ma façon de leur expliquer, c’était de les engager à dire le texte, à le rapporter à une expérience vécue, de le traverser avec le corps et la sensibilité en somme, et plus du tout de façon scolaire, puisque l’écriture d’un auteur vient avant tout de son émotion. Cela a très bien fonctionné, les résultats ont été incroyablement positifs, immédiatement. Elles y passaient un temps fou, alors que le français était leur cauchemar auparavant.
J’avais une telle affection pour ces jeunes filles, dont la plupart n’avaient pas bénéficié d’un environnement favorisant la complicité avec les jeux de la langue française, que j’ai suivi leur souhait d’organiser un atelier-théâtre dans le lycée. Et là, ça a explosé, plus de vingt participants, un proviseur métamorphosé, des travaux sur Rabelais, Beckett, Racine. Cette initiative a abouti sur un travail de trois années dans le lycée, avec des spectacles joués au Vingtième Théâtre, puis lauréats dans un festival, l’une des lycéennes reçue au Conservatoire, … Là j’ai appris mon métier. Regarder les gens et savoir les mettre en valeur en suivant ce qu’ils proposent d’eux-mêmes, de leur imaginaire. Bon, raconter une histoire et la mettre en images aussi.
Quelles sont tes meilleures expériences professionnelles?
Deux directions à cette réponse : les gens que j’ai observé travailler, ou un peu soutenus en tant qu’assistante. Et les expériences que j’ai menées, seule et en corsaire.
Première option, l’assistanat : sans hésiter, le plus marquant a été le travail avec Josef Nadj sur « La cuisine ». C’est un chorégraphe, danseur, d’origine hongroise, il conçoit la mise en scène comme une peinture, comme l’organisation d’un vaste tableau des corps. La fatigue pour lui n’existe pas, et tant qu’il n’est pas arrivé au bout de son idée, il n’arrête pas, même si c’est après quinze heures de recherche. Et on doit tous être aussi tenaces bien entendu.
Ou autre expérience d’observation déterminante : lorsque j’ai suivi les répétitions d’ »Orlando » de Bob Wilson, au théâtre National de l’Odéon. C’est Isabelle Huppert qui disait le texte de Virginia Woolf, seule en scène, et les tableaux colorés la composaient, la suivaient ou la précédaient. L’image et les mots se répondaient sans cesse, mais dans un domaine parallèle, un espace onirique, sensible. Une magie inexplicable et fascinante, un travail d’une précision remarquable.
Avec David Ayala et « Toto le Momo » aussi, spectacle sur Antonin Artaud et la lisière de l’irrationnel, de la folie, de la maîtrise créatrice. J’ai été un moment paralysée, cette dimension me paraissait inabordable, surhumaine presque. Et ce que j’ai compris là, dans cette masse de génie, c’était où situer ma place. Un métier, simplement. Il y a des artistes, pour qui ce mode d’expression est vital, essentiel et il y a les … courroies de transmission, les générateurs peut-être. Donc mesure et modestie. Réalisme. Autre enjeu.
Deuxième option : mon travail en Amérique du Sud, langue différente, pratiques totalement autres, liberté d’inventer avec de nouveaux outils et d’inviter des artistes de provenance et d’horizons très divers. Une prise de risque d’arriver en terrain inconnu, mais d’être, mine de rien, attendue pour un résultat. Très stimulant et riche. C’est cette expérience (sur plusieurs lieux et plusieurs années) qui teinte encore mes projets actuels. Un exemple parmi tant d’autres, l’obsession des personnages monochromes. Tant qu’on n’a pas trouvé la couleur de son personnage, on ne le connaît pas ! Et comme les gens, les couleurs se répondent, s’harmonisent ou s’opposent.
En fait, le metteur en scène est totalement superflu, mon rêve c’est une troupe de comédiens qui s’attellent à un auteur, comme lorsque Shakespeare au théâtre du Globe arrivait, avec ses répliques rédigées pendant ses nuits blanches, au milieu des acteurs et que tous se demandaient COMMENT ON FABRIQUE LE SPECTACLE QUI VA AVEC CE MATERIAU ?
Pas d’intermédiaire nécessaire. C’est une invention récente, cette fonction, j’ai d’ailleurs toujours la tentation de l’abandonner, je me suis souvent orientée vers d’autres types de métiers, autour de l’écriture, du Livre (sur les expos, à la BNF par exemple), autour de la démocratisation des activités artistiques surtout, pour apporter la pratique d’un art dans tout type de milieu, j’ai par exemple dirigé la programmation du Festival du Mot, mais je reviens toujours à la coordination de projets théâtraux, parce que certains sujets me donnent tellement envie de les voir sur scène que je m’y mets. J’ai l’impression que c’est un lieu où on peut faire témoignage de bien des passions et pensées d’êtres humains, aujourd’hui. Et puis comme quand j’en parle les gens se groupent autour de moi, des gens que j’admire pour leurs compétences et que j’aime pour leur générosité, je me dis que c’est la dernière fois, et on y va, on essaie.
Les pratiques ont changé depuis le théâtre Elisabéthain, mais j’aimerais bien n’être qu’une coordinatrice d’un projet commun. Le prochain spectacle du GROUPE EL d’après le « Dialogue » de Galilée, rassemble : un musicien, des comédiens, une scénographe, un magicien, et des astro-physiciens. Son titre c’est « Je me suis souvent étonné », phrase extraite du Dialogue que je pourrais prendre pour moi.
Que t’ont apporté tous les projets universitaires?
Depuis que j’ai rejoint l’Université, après mes années de classe prépa littéraire au lycée Henri IV, je ne l’ai pas quittée. J’ai commencé à co-diriger les cours de Pratique théâtrale lorsque j’étais en maîtrise de Lettres, ensuite j’ai pris en main cet enseignement, j’ai eu davantage de charges de cours, dans d’autres départements aussi, enfin lorsque j’ai eu mon doctorat en 2004, j’ai enseigné comme « docteur ès-lettres », ce qui ne change rien au fond. Donc je peux dire que c’est un milieu assez familier, même si ça n’a jamais été l’essentiel de mon activité professionnelle.
Comme j’aime la confrontation des idées et de l’action, des jeunes et des vieux, j’aime bien cet endroit.
En plus, c’est le seul endroit où la continuité va de soi. Il suffit de faire un bon travail pour être renouvelé dans sa tâche. Enfin, c’était le cas jusqu’alors. En revanche, le milieu du spectacle est baigné dans de multiples divertissements et des types de relations qui me paraissent très lointains du travail. Se croire indispensable, faire la cour, prouver son originalité. Ce comportement m’est totalement étranger ; je ne sais pas faire.
Mon objectif est de produire un résultat honnête et surprenant, de faire travailler des gens dans une perspective qui va les étonner et les ouvrir à d’autres possibilités, c’est bien autre chose !
Je suis à un tel point pas carriériste et incapable d’être chef d’une entreprise, même théâtrale, que c’est à se demander comment je travaille encore …
Propos recueillis par Nuno José Marcelino