Une adaptation du dialogue pour la scène

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Le texte original du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde se déroule sur quatre journées et met en scène trois personnages : Salviati, qui représente la pensée de Galilée et mène la discussion, Simplicio, qui est la voix des partisans d’Aristote et du géocentrisme et Sagredo, qui accueille, questionne les deux précédents et met en doute leurs arguments.

La finesse de ce dialogue vient d’un positionnement tout en nuances et réversibilité : Salviati avance qu’il va présenter des arguments pour et contre le mouvement de la Terre, provoquant un mode de raisonnement dialectique et dynamique. L’une des deux parties arrivera en effet à une conclusion « plus probablement vraie ». C’est la proposition d’un examen critique de l’hypothèse copernicienne.

Face à lui, Simplicio est un opposant crédible, non caricaturé. Malgré notre regard rétrospectif le jugeant dans l’erreur, malgré ses arguments passéiste et son caractère de cochon ( !), Simplicio a du répondant et permet à la pensée de Salviati-Galilée de s’opposer, de s’articuler, de rebondir.

Quant-à Sagredo, il soulève des objections s’adressant aux deux opposants. Il met ainsi en lumière les présupposés cachés de chacun des raisonnements. La controverse, la confrontation d’idées, le dialogue vif permet de renouveler le savoir en le questionnant : s’affranchir de la connaissance transmise permet de rechercher la vérité, par le « dissentiment » et de façon indépendante.

En plus de fonder une bonne part de l’astronomie et ce qu’on nommera plus tard la physique, le Dialogue donne lieu à une réflexion sur la démarche scientifique, la nécessaire mise en question des présupposés théoriques, et sur la méthode, ici celle du rôle fondamental de l’expérience pour valider toute hypothèse.

Parler par passion, par conviction, incarner la découverte dialectique en un discours tonique, vivant, par les voix de trois personnages bien campés, quel meilleur point de départ pour une envolée théâtrale ponctuée de compositions chantées ?

«Nous sommes là pour discuter et il est bon que chacun présente les difficultés qu’il rencontre, c’est la voie à suivre pour parvenir à la connaissance de la vérité. Parlez donc.» dit Salviati à Sagredo dans la Deuxième Journée. Ou encore : «La nouveauté des choses que j’entends me rend curieux et tout disposé à écouter.» dit cette fois Simplicio à Sagredo. Galilée met en avant la nécessité d’un échange oral, l’utilité de controverser, de s’écouter sans a priori, de se contredire et de (se) disputer pour faire avancer la pensée et la connaissance. Les caractères sont bien dessinés, les personnages ouverts à une interprétation théâtralisée, non pour les caricaturer mais pour en tirer une humanité, une vivacité qui est celle de la parole ici traitée avec précision et humour.

A l’heure où nous écrivons ce descriptif du projet, le travail a permis d’extraire certains moments du Dialogue particulièrement forts, issus des trois premières Journées :

  • la mise en question de la spécificité et de la place de la Terre : « la Terre est très différente des corps célestes » (Simplicio dans la Première Journée), l’observation « grâce au téléscope » (Salviati) des « altérations » de la lune, altérable et corruptible, menant à l’idée que « la Terre a les mêmes propriétés que les corps célestes ». Egalement l’expérience de la réflexion du miroir pour mettre en doute le caractère « lisse et poli » de la lune et en faire un objet « obscur et opaque, comme la Terre » (Salviati).
  • la question de la mobilité de la Terre, appuyée sur les expériences de la chute des corps sur un objet en mouvement : « certains problèmes très curieux à propos des projectiles » (Sagredo dans la Deuxième Journée). Les exemples du cavalier lançant un projectile sur son cheval en mouvement et celui du mât du navire du haut duquel on lance une pierre, l’arquebuse suivant les oiseaux, sont très imagés, vivants et la discussion passionnée permet de reprendre les arguments du niveau le plus élémentaire à un degré de réflexion plus abstrait. Ce problème de physique est important pour la démonstration du mouvement de la Terre car en montrant que « le mouvement est comme s’il n’était pas pour tous ceux qui y participent » (Sagredo), Galilée détruit ainsi par la bouche de ses personnages l’un des principaux arguments allant contre le mouvement de la Terre sur elle-même.

Dans notre adaptation, nous nous permettons de « contracter » parfois le texte, sans jamais en modifier le vocabulaire bien entendu, mais en allégeant les répliques si besoin, et en faisant se répondre des passages éloignés. La réécriture concernant la composition, le rythme, n’a lieu que lorsqu’il s’agit de mieux servir le discours, l’énergie et la tension de la pensée palpable en scène, l’interprétation des comédiens, l’intelligibilité du propos ou la « dramaturgie » imaginaire de l’échange du trio des « étonnés ». La recomposition du Dialogue se présente sous la forme d’un prologue et de deux journées séparées par une nuit (étoilée). Chaque modification est soumise à l’approbation des référents scientifiques de l’équipe.

La pièce est prévue pour durer 50 minutes, avec ensuite la possibilité d’une courte conférence d’une trentaine de minutes, donnée par un astronome et/ou physicien, adaptée au niveau des publics et donnant lieu à un échange entre la salle, le scientifique et l’équipe théâtrale.

Le découpage résulte d’une progression selon les étapes « hier », « aujourd’hui », « la nuit » et « demain ». Quatre parties comme autant de stades d’une remise en question fondamentale.

Une trace de chacune des expérimentations demeure sur le plateau. Au final, c’est l’état du monde tel qu’on l’a déconstruit puis réorganisé.

La dramaturgie dit le passage d’un temps où l’on s’appuyait sur des discours et sur une forme définie, fixe, rassurante- celui de l’organisation du monde définie par Aristote que défend Simplicio, au temps des expérimentations, des morcellements, des incertitudes- celui de la représentation qu’en propose Galilée par le biais de son porte-parole Salviati, encouragé par Sagredo.

Étapes du travail

Les répétitions ont commencé à la mi-décembre 2008 dans les locaux d’Agora International. Une première étape d’expérimentation autour du texte de Galilée avait eu lieu dès septembre 2008, puisque le texte du Dialogue a été proposé aux étudiants de Mastère de Journalisme Scientifique, pour leur exercice de « Mise en scène de controverses scientifiques », dirigé par Baudouin Jurdant, professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, et encadré par Judith Larnaud-Joly et Frédéric Tournier, Maître de Conférence en Biologie Cellulaire à Paris-7. Le spectacle, résultat de cette expérimentation, à été présenté le 17 octobre 2008, au Couvent des Cordeliers (faculté de médecine, Paris-5).

Une première phase de travail, lecture en jeu du « Dialogue » adapté par Sylvain Hudlet, a eu lieu lors des manifestations « Lumières sur le Ciel » à Troyes. Elle a été programmée au Théâtre de la Madeleine le 17 janvier 2009. Il s’agissait de la première présentation publique en France d’une lecture orale de ce texte, qui n’a été traduit qu’en 1992 en langue française.

Le « Dialogue » sera joué salle Pierre Albouy- Université Paris-7 les 19 et 20 mars 2009.

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